Interview de Erezy 1/2

Peux-tu te présenter ?

En quelle année es-tu né ?
Je suis né en 1971.

As-tu fait des études artistiques ou de dessin ?
Non, pas du tout.
C’est vrai qu’il y a pas mal de graffeurs qui viennent de ces études. Moi, je suis plutôt de l’« école des taggueurs de banlieue ». J’ai toujours aimé le dessin, même si je n’ai pas de don particulier pour ça. Heureusement, le graffiti est une technique à part, notamment les lettrages, qui ne s’apprend pas à l’école. Pareil pour la peinture sur train… En revanche, c’est sûr que pour les persos, les couleurs, l’inspiration… ça aide les cours de dessin.
Finalement, chacun son truc. Moi, peindre des « œuvres d’art » pendant des heures dans un terrain m’amuse moins que d’éclater un métro au baranne.

Es-tu originaire de Paris ou de sa banlieue ?
J’ai toujours vécu et je vis encore en banlieue. C’est vrai que ça change un peu ta perception du graffiti. Pour moi, le graffiti de Paris est plus « bobo » et celui de banlieue plus vandale.
Tu n’as qu’à voir les acharnés du 93 ou du fin fond du 77. Ils m’éclatent.

Viens-tu d’un milieu populaire ou de la classe moyenne ?
Classe moyenne de banlieue rouge. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents communistes. Je ne suis pas un galérien de cité. J’ai eu une enfance heureuse et tranquille à Malakoff, une ville considérée comme craignos. Mais moi, je m’y suis toujours senti bien. Il y avait du shit, c’est sûr, mais ce n’était pas le Bronx non plus.
Bref, je suis un galérien de banlieue.

As-tu des parents (ou des proches) artistes ou travaillant dans le milieu de l’art ?
Non, mes parents travaillaient dans l’industrie de l’armement.
Ma famille est d’origine paysanne et ouvrière. Rien à voir avec le milieu artistique.


Les débuts

À quel moment as-tu connu (ou vu) tes premiers tags et tes premiers graffes ?
J’ai vu et démarré mes premiers tags grosso modo au même moment (fin 1987).
À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de graffes visibles, surtout si, comme moi, tu ne traînais pas trop dans les plans parisiens (Louvre, Stalingrad…). Je ne me souviens pas trop des premiers graffes que j’ai vus, sûrement ceux des CTK et de la Force Alpha.
Un mec m’a marqué à cette époque. Il taguait juste dans ma banlieue, mais c’était notre référence. Il taguait DECKER (plus tard, il est devenu ABILE DT15). Il traînait avec des futurs PCP comme DECAY, qui étaient déjà de bons graffeurs.

Où ?
C’est sûrement sur les murs du RER B que j’ai vu mes premiers graffes. En effet, je prenais cette ligne tous les jours pour aller au lycée. Avant, j’étais passé au Louvre, mais je n’avais pas tilté le truc. Ensuite, je suis allé régulièrement au terrain de Mouton-Duvernet.

Avec qui ?
En 1986, j’étais déjà très pote avec le futur DASE 4AD. On ne tagguait pas. On écoutait la même musique : punk, rock alternatif… On faisait la fête ensemble. Notre trip, c’était la musique et les soirées. En 1987, dans notre classe, il y avait le futur OBSEK 4AD (qui tagguait DIGITAL X). C’est lui qui nous a montré ce qu’était le tag. Avec DASE, ça nous a plu et on s’y est mis, d’abord dans notre lycée, puis dans notre banlieue et sur les lignes B et 13 (je prenais tous les jours la B, mais j’habitais sur la 13). J’aimais bien les côtés underground, interdit et adrénaline.

As-tu commencé à ce moment précis ou bien après ?
Comme je le disais, j’ai commencé fin 1987, mais évidemment c’était une période d’apprentissage. On est tous passés par là à l’époque. Imagine : pas de web, pas de magazine, même pas de livre. Je me souviens, on faisait nos tags sur des stickers, puis on les collait partout. À l’époque, tu pouvais le faire devant tout le monde. Ça faisait rire les passants.
Ensuite, j’ai lu SprayCan Art puis Subway Art (je sais, c’est le mauvais ordre, mais c’est la vérité). Ça a été la claque de ma vie. Je me souviens encore de la couverture de MODE2 et des graffes des TCA/CTK. Grâce à SprayCan Art, j’ai découvert le graffe. Ensuite, j’ai traîné mes basques et j’ai vu ce qui se faisait à Paris et en banlieue.

Après ça, tu comprends pourquoi la première fois que j’ai peint avec MODE2, j’ai eu l’impression d’avoir bouclé la boucle.

Quand est-ce que tu as commencé à taguer et à graffer ?
J’ai commencé par le tag fin 1987, puis très vite j’ai essayé de graffer, surtout avec DASE et avec DEFUN, mon frère (qui à l’époque tagguait PULSAR).

Est-ce que tu étais seul ou avec des copains ?
Mon histoire avec le tag est avant tout une histoire de pote. J’ai rarement peint seul. Au début, je tagguais surtout avec DASE et un peu OBSEK. C’est comme ça qu’on a créé notre premier groupe : les DBK (Dead and Buried Kids). Il y avait nous trois, plus COROSIF (un pote non tagueur avec qui on allait en soirée). À l’époque, tous les groupes finissaient par Kids ou King, comme les CTK.

Où as-tu peint la première fois ?
Mon premier graffe, je l’ai fait avec DASE à Fontenay-aux-Roses, dans un endroit illégal, près de la coulée verte. On a peint sur une palissade. On s’est bien marré, mais on a aussi beaucoup flippé. C’était la nuit, et il y avait plein de bruits angoissants. Le graffe n’était pas mal, mais c’était DASE – plus doué que moi – qui avait tracé les lettres.

Ensuite, j’ai fait quelques plans seul, car personne ne voulait venir avec moi. Je les ai faits sur les murs de la RATP et de la SNCF près de chez moi. Franchement, ce n’était pas terrible… Mon premier graffe solo, j’ai même jeté la photo pour que plus personne ne le voie. En même temps, il était à 20 mètres de la station Étienne Dolet sur la 13 et des tonnes de mecs ont dû le voir. J’ai même fait un graffe avec DEFUN dans l’entrepôt de TGV de Châtillon ! Mais plutôt que de faire les trains, on a tapé un mur. Question d’époque.

Je n’étais pas le plus doué, mais j’étais le plus énervé. C’est comme ça que j’ai progressé.

Et où as-tu posé ton premier tag ?
Dans mon cahier de texte… Franchement, je ne m’en souviens pas du tout.

EREZY est ton pseudo depuis le début ?
Non, j’en ai eu un avant qui m’a servi à apprendre. Ensuite, je suis revenu avec ERESY pour refaire et compléter le travail sans avoir de « passif de débutant », notamment en termes de style. Et puis, comme ça, j’ai pu « effacer » l’impact de mes premiers graffes.

Sinon, quels sont les autres par ordre d’apparition ?
Avant ERESY, j’ai tagué SOEY pendant environ un an.

Peux-tu nous raconter ton histoire à partir du moment où tu as commencé à peindre pour que les gens le voient ?

Très vaste question ! Et n’oublie pas que je suis avant tout un tagueur. Pour moi, taguer ou peindre, c’est pareil. C’est juste une question de temps disponible, de style et d’expérience. Le but est de se faire plaisir, mais aussi, tu as raison, que les gens le voient.

Mon histoire rejoint celle des 4AD. car je suis le 4AD le plus connu car c’est moi qui ai le plus cartonné. J’aime bien que les 4AD soient un peu à part dans le mouvement. Et j’adorais les trains. Fondamentalement, j’ai fait tout ça pour les sensations fortes et pour le fame. C’est top de pouvoir se créer une nouvelle identité et d’évoluer dans une société parallèle.

Je fais partie de la génération dorée du graffiti à Paris qui a connu la plus grosse phase de cartonnage des rues et du métro. Tu ne verras plus jamais ça. Je pense avoir un peu marqué l’histoire du mouvement comme gros tagueur et comme gros peintre de train. Et je pense que toi et moi avons marqué l’histoire de milliers de gamins en Europe avec Paris Tonkar. C’est le livre de référence. Aucun n’arrive à sa cheville de par sa force, sa jeunesse, son audace et son impact sur le mouvement.

En quelle année et dans quels endroits ?

J’ai peint beaucoup de trains. J’ai aussi fait pas mal de voies, notamment sur les RER. J’ai fait peu de couloirs de métro, je ne m’y sentais pas à l’aise (je suis un peu claustrophobe). J’ai peint dans les terrains de l’époque : Mouton-Duvernet, Petite Ceinture, Quai de la Gare… mais aussi dans des plans à moi, dans ma ville et dans des plans de mes potes (Montreuil, Ivry…). J’ai peint un peu dans la rue. J’adore, mais c’est difficile à faire sans se faire déranger ou courser. J’ai fait aussi un peu d’autoroutes, mais ce n’était pas trop le trip à l’époque.
J’ai fait quelques plans légaux qui payaient les bombes, notamment un super bien placé : Rue de Rennes. La photo est dans Paris-Tonkar.

Qui as-tu croisé à cette époque ?

J’ai croisé les mecs de mon époque. Même si on était nombreux, en traînant dans le métro ou dans les terrains, tu finissais par connaître les gros cartonneurs et les bons graffeurs.
J’ai été 2-3 fois au rendez-vous Place d’Italie, mais ce n’était pas mon truc. Trop de monde en même temps qui taggue : c’est marrant, mais c’est serrage garanti.

Globalement, les 4AD étaient un groupe un peu à part. Tu ne pouvais pas y rentrer sans être avant un pote. On n’écoutait pas trop de rap, à part DEFUN, NES et HERA. On n’était pas des BBOY. On avait des plans connus de nous seuls… Ajouter à ça la concurrence d’enfer de l’époque. Pour moi, le tag, c’était seul ou avec mes potes des 4AD.

Du coup, je n’ai pas fait beaucoup de plans avec d’autres. Il y en a un connu, celui de Paris Tonkar, où l’on voit ABDIK en train de taguer. En fait, on a fait une descente dans une station la nuit avec notamment ABDIK, CAPT et RADM. On a fait des tunnels et la station. Je me souviens : j’ai tracé les lettres pour tout le monde dans le tunnel. Mais j’ai fait de la merde, trop fatigué. Un bon souvenir… enfumé.

Au fil des rencontres, il y a des mecs avec qui je me suis bien entendu et d’autres moins. Mais en général, on restait entre 4AD pour les plans. Les mecs que j’appréciais, on se voyait plutôt pour les squats, les sorties ou Paris Tonkar.

Ensuite, dans ma période MTA, avec PSEYE et DEFUN, on a amené quelques mecs avec nous peindre des trains, notamment MODE2, KEA et ECHO. J’ai fait quelques trains avec d’autres, essentiellement des potes à moi (DETAY, KENOR, DRONE) ou à PSEYE (EXTAZ, KLINE, REST, SCAI).

Il y a aussi eu le fameux plan TRANSEUROP EXPRESS qui est paru dans INTOX. On a fait une descente à plusieurs (VICE, DEA, EXTAZ…) et on a tout marravé. Pour l’anecdote, ce train, on l’a fait à Gare du Nord…

Il y a quelques mecs que je n’ai jamais rencontrés et qui m’auraient plu : la première génération de taggueurs et un mec comme CLICK, gros défonceur un peu en dehors des sentiers battus.

As-tu peint avec des graffeurs tels que Bando, les BBC ou d’autres ?

Aujourd’hui, je suis considéré comme un oldtimer, mais je fais partie de la deuxième vague de taggeurs, la génération « pré-Paris Tonkar », pourrait-on dire. À l’époque, les gens que tu cites étaient les oldtimers. Je n’ai pas côtoyé ces pionniers car ils n’étaient déjà plus en activité. J’en ai rencontré certains, tels que BANDO ou DARCO, mais je n’ai jamais fait de plan avec eux.

BANDO est un mec à part dans le milieu. Beaucoup de monde crache sur lui car c’est un grand bourgeois et qu’il a – c’est vrai – raconté des conneries. Moi, j’ai un grand respect pour lui. C’est le premier king français. Il a influencé toute l’Europe. Moi, je suis très lettrage et j’ai toujours admiré son style. Et c’est un vrai cartonneur !

Honnêtement, c’est un mec sympa, loin des clichés, avec qui j’ai passé de bons moments. Ne racontons pas d’histoire : nous n’étions pas des amis. J’ai juste passé quelques moments chez lui ou dans un bistrot pour boire une bière à l’occasion de Paris Tonkar.
J’ai beaucoup de respect pour cette génération du début, qui avait un sacré talent. Mais moi, je suis un taggueur, et mes références, c’est plutôt BANDO, COLT, BOXER, SIGN, puis plus tard CLICK, les 93MC, 41C, TBA, que les BBC, LOKISS & Co.

En revanche, j’ai eu la chance de peindre plusieurs fois des trains avec MODE2, et ça, c’est un super souvenir.

As-tu peint des métros ou des trains en France ?

Les deux, mon ami ! Je pense que je fais partie de ceux de ma génération qui en ont peint le plus, juste après PSEYE. Je n’ai pas toutes les photos, mais j’ai dû faire une centaine de pièces. À l’époque, on pensait qu’on serait les derniers à peindre des trains à Paris. Quelle erreur ! Ça me fait plaisir de voir qu’il y a encore des furieux qui font des whole cars sur les métros 20 ans après. Ils en ont sûrement fait plus que moi.

On a fait vraiment quelques plans énormes, dont le plus célèbre est sans doute le premier whole train réalisé à Paris (paru dans INTOX). On l’a fait sur un RER, et je peux te dire qu’un wagon de RER, c’est grand, à peu près deux fois plus long qu’un wagon de métro. Le train était à quai. On était quatre : PSEYE, DEFUN, moi et MODE2. MODE2 a fait une pièce terrible avec des lettres et des persos. Nous, on a fait des graffes énormes avec juste notre tag.

Mes graffes préférés, ce sont vraiment les top 2 bottom sur train et les lettrages old style, genre bubble. Il y a quelques plans qui m’ont marqué. Évidemment, les top 2 bottoms TUE et ERESY sur la 13. Un throw-up whole car sur le RER C assez délirant. Un beau « style war » avec un perso sur un train bleu. Une nuit, j’ai fait 7 pièces, une sur chacun des sept trains du dépôt que nous étions en train de taper…

J’ai fait pas mal de panels et de throw-ups au début, car mon kif était de faire le plus de pièces possible. Puis petit à petit, j’ai essayé de faire plutôt une belle pièce que trois. J’ai essayé plusieurs styles (block, bubble…) et même réalisé des persos, moi qui dessine assez moyennement. Le mieux, c’est de voir les photos, car je pourrais passer des heures à parler de chacune des pièces. Elles ont toutes une histoire.

J’ai fait surtout des trains, très peu de métro. Quand je me suis mis à peindre régulièrement les trains, les dépôts de métro étaient super grillés. J’ai peint beaucoup sur les trains bleus de Saint-Lazare, mais aussi des RER, des trains rouges, des trains de marchandises et même des trains de transport de céréales.

Dommage qu’à l’époque du tag dans les dépôts, je n’ai pas pensé à graffer les métros ! Mais personne n’y pensait.

En tout cas, rien ne vaut de peindre sur un train. Tu as une ambiance incroyable dans un dépôt. Certains sont super tranquilles. D’autres surveillés. Tu n’es jamais à l’abri d’une cavale. On en a connu quelques-unes, mais avec l’expérience, tu apprends à maîtriser cet environnement. Et au pire, à courir vite et à gazer tout le monde.

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