Interview de Yank CAS

Yank // CAS // DKA // 156

Un writer de la première heure qui a su imposer son style et sa signature très particulière…

Qu’est-ce qui t’a poussé dans le tag ?

J’ai découvert mes premiers graffitis en 1983 après avoir vu, dans un magazine, des graffs sur des métros new-yorkais. Mon blaze a vite été trouvé : tout ce qui me faisait kiffer venait des States, alors « Yankee »… et pour simplifier, c’est devenu Yank !
Mais j’ai vraiment commencé à poser quand je suis arrivé à Cergy en 1985. Avant, j’étais à Argenteuil, où j’ai grandi.

Y avait-il des crews dans ton coin ? Des jeunes comme toi qui voulaient faire des choses ?

En banlieue, il n’y avait rien. Les premiers tags commençaient à apparaître à Épinay-sur-Seine et à Saint-Denis. Il y avait San, Leo 2, Swan et Joan, les DCD pour la ligne Nord.
Spank, à partir de Nanterre et Colombes, représentait la ligne Saint-Lazare, même si déjà à Argenteuil, quelques précurseurs s’activaient.

Revenons à tes débuts…

Mes premiers tags, et même mes premiers graffs, je les faisais en plein jour, devant tout le monde. Les plus curieux me demandaient juste ce que ça signifiait, sans aucune animosité.
Mes journées étaient simples. Comme je n’allais plus en cours depuis un moment, je me levais, j’allais à Auchan aux Trois-Fontaines pour pécho quelques bombes, puis je prenais le train direction Saint-Lazare. Je descendais à la première gare dès que je repérais un bon mur, et à l’époque, il y avait l’embarras du choix. Avec trois bombes chromes et une noire, je faisais mon block devant des trains qui ralentissaient pour me klaxonner. Avec les fonds de bombes, je finissais au guetta !

Qui sont les writers avec qui tu as peint au début ?

Je traînais souvent seul jusqu’à ce que je rencontre Kut.s et Tchan, avec qui j’ai formé MGC (Mystérieuse Génération Cosmique), mon premier posse. Ensuite, on a créé TNT (Trois Nomades du Temps) : on a cartonné la gare de Cergy-Préfecture !

As-tu connu des problèmes avec la police ?

Disons que ça s’est toujours bien passé, à part une fois où on s’est fait courser. Mais rien de méchant, personne ne s’est fait choper. Un matin, les condés ont débarqué chez moi pour faire une perquisition. J’ai pris deux mois de sursis au tribunal parce que j’ai refusé de faire du TIG… Moi, bosser à l’époque, et en plus pour l’État, faut pas déconner !

Peux-tu nous parler du rendez-vous de la gare du Nord ?

Ensuite, il y a eu les rancards tous les week-ends à la gare du Nord, avec les TRP, IZB, SDC, DCD, TBK (The Buster Killerz), Ramses, Leo 2, Joan, Swan, Resko, Get 2, Sish, Zinder, Shok, Scare, Shyrock, Swarz, Cash, Shy 121, Zafht, Shark, Slak, Revolt, Ken 2, Rayone, San, et tous les autres killers du moment. On dévalisait toutes les papeteries sur le chemin, en allant au terrain vague de La Chapelle — les torches, à l’époque, étaient encore en rayon.

Peux-tu nous parler des CAS ?

À Cergy, j’ai rencontré Strike par l’intermédiaire de Deon, avec qui on a formé les CAS (Candidats Au Suicide). Il y avait donc Strike, Deon, Click, Dew, Kut.s, Tchan, Real, Seeno, Dragon, Set, Phoenix, Skide, Sline, Doc Phil, sans oublier les flygirls : Sixy L, Chanel, Liberty et Wendy. Quand on montait dans une rame, on montait à l’opposé, et on voyait les mecs qui les chambraient parce qu’elles avaient une dégaine de B-Girls. Mais dès qu’elles se levaient, torche à la main, en train de punir le wagon, ils restaient bouche bée.
On avait une bonne team, et moi j’habitais juste à côté du dépôt. Alors quand le RER A est arrivé, ça a été un vrai cadeau…

Et les DKA ?

J’ai rencontré Neac à Nanterre, à un concert de la Mano Negra. Il m’a fait rencontrer Bears, Rel, Kayse, Shuck 2, Capone, Honet, Hozoi, et je suis rentré dans leur posse : Dark Killer Angelz !

À cette époque, tu avais la réputation d’être un solitaire. C’était vrai ?

J’ai fait pas mal de virées à plusieurs, mais la plupart du temps, j’étais seul, plus scred, donc plus de carton. En plus, j’étais un peu à part dans le mouvement avec ma dégaine punk et ma crête multicolore. Ça aurait pu m’attirer des ennuis, car certains étaient assez étroits d’esprit pour me confondre avec un facho.

Qui t’a fait rentrer dans le 156 ?

En avril 2009, Psyckoze me propose de peindre à la piscine Molitor, qui ouvrait exceptionnellement ses portes pour un photographe. On y retrouve entre autres les 93MC, et là il me fait intégrer le 156. Pour moi, c’est un rêve de gamin : un crew de référence internationale. Plus qu’un posse, une institution qui rassemble différents talents à travers diverses disciplines, dans le monde entier.
Comme le dit Jonone :

« 156 représente un état d’esprit, ce n’est pas un clan. Chaque membre du 156 a son individualité, sa propre personnalité, que ce soit Creez, Psy, O’Clock… Chacun apporte sa force. Ils n’ont pas besoin d’être 156 pour exister. Ils ont chacun une énergie intrinsèque par rapport au travail qu’ils fournissent, et ils représentent cet état d’esprit 156. »

Pour finir, as-tu une anecdote à nous dévoiler ?

1988… Venant de banlieue, je prenais régulièrement le dernier train vers gare du Nord pour faire des missions Paris by night. Ce soir-là, j’étais en train de taper un rideau de fer à Simplon quand j’entends une voiture ralentir. Je regarde discrètement… Merde, trois condés ! Je continue à marcher comme si de rien n’était. Je balance la bombe et le 15 mn dans la bouche de métro. Mais ça ne sert à rien : mes mains sont pleines de peinture et j’ai encore plein de beubons dans mon sac. J’arrive sur le grand carrefour de la Porte de Clignancourt, la voiture me suit toujours au pas. Je sais qu’une fois le carrefour traversé, ils vont m’interpeller. Et là, sorti de nulle part, une voiture se cale entre nous. Le bonhomme baisse sa vitre et me demande un renseignement. Un autre gars traverse, me pointe du doigt et s’écrie :

“Oh putain, c’est Gérard Majax !”
Effectivement, c’était lui. Les flics, nous voyant taper la discute, lâchent l’affaire et tracent. Un vrai tour de magie.
En fait, Majax cherchait une boîte libertine qui venait d’ouvrir dans le coin. N’ayant pas l’info, il nous propose d’aller manger une glace à Pigalle.
Arrivés là-bas, il commence à nous raconter sa life, ses folles nuits à Ibiza, et le soir où, sur la plage, un mec l’a caressé… et il a aimé ça. Depuis ce jour, il est devenu bisexuel.
Et là, je me sens tout con d’avoir choisi un banana split.
Il me propose ensuite d’aller partouzer avec une de ses amies à Cergy. Je décline, lui demande de me déposer à Clignancourt.
L’idée de baiser une nympho était très alléchante… mais j’ai eu peur de Majax et de sa baguette magix !
Au final, j’ai esquivé une garde à vue et j’ai quand même cartonné les puces de Clignancourt.
Bref, une soirée magique. Merci Gégé !

Une dernière chose qui te vient à l’esprit ?

Pas vraiment d’anecdote en plus. Juste un truc : le fait que je tagge Yank m’a évité pas mal d’embrouilles. Avec ma dégaine de punk, certains me prenaient pour un skin. Notamment à Gare du Nord, quand je mangeais tranquillement mon merguez-frites en attendant le dernier train pour Pontoise. À l’époque, j’avais toujours un grenaille à côté du 15 mn dans la poche secrète de ma veste, mais je n’ai jamais eu besoin de le sortir. Il suffisait que les gars voient l’arrière de ma veste graffée et que je pose ma griffe, et je passais direct de l’ennemi public numéro un au meilleur copain !

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