Interview de Alp BAC

Pourquoi as-tu commencé à taguer ?
J’ai commencé le tag vers 1983-1984, dans la dynamique de l’émission Hip Hop de Sidney. On y voyait des mecs comme Futura 2000, qui maniait parfois la bombe en direct à la télé. Moi, à la base, j’étais danseur Hip Hop. J’ai très vite fait le lien entre les disciplines. Le graffiti, je l’associais aussi aux tags punk, anarchistes, à tous ces trucs que tu pouvais lire dans la rue. Il y avait un côté plus sombre, plus brut, qui me parlait beaucoup.

Et puis, il y avait les images du métro new-yorkais à l’époque. On voyait ça dans les reportages, les documentaires, les magazines. Les rames étaient totalement recouvertes de tags, c’était du vandalisme pur, mais tellement stylé. Ça donnait une impression de chaos urbain, de fin du monde. Moi, j’adorais cette esthétique. Ça sonnait comme une apocalypse artistique.

Pourquoi le tag en particulier ?
Parce que c’était ce qu’il y avait de plus accessible. Un marqueur, une bombe, un blaze, et tu pouvais commencer. Pas besoin de matos compliqué. Tu apprenais à faire tes lettres, plus ou moins stylisées, et c’était parti. Et puis voir son nom un peu partout dans la ville, c’était une forme de reconnaissance secrète, une fierté anonyme. Seuls les autres tagueurs comprenaient. On n’était pas beaucoup à l’époque, c’était presque une société secrète.

Quel a été ton premier blaze ?
Mon tout premier blaze, c’était Master A. Puis j’ai tagué Alex, avec un Z, influencé par les Z Rockers – je pensais que ça faisait référence aux Zulu. Ensuite, je suis devenu Sean 2, avec un S stylisé qui ressemblait à un D, pour brouiller les pistes. J’avais déjà eu affaire à la police, donc il fallait être discret. Et après un voyage à New York, j’ai pris le blaze ALP.

Ma vraie période tag, c’est entre 1985 et 1987-1988. Après ça, je suis passé aux throw-ups, surtout dans la rue, dans le 13e et à Bagnolet. En 1986-1987, on taguait à la volée, pas vraiment comme les gros cartonneurs organisés comme Muck, Sheek, Asphalt, Spirit, Blitz, Bando, Sign, Kister…

Tu taguais où, et avec qui ?
Avec mon premier crew, les BAC, notre ligne préférée, c’était le RER B. C’était la ligne de l’école. À part Bams, qui taguait au marqueur Conté, y’avait pas grand monde dessus, ça allait jusqu’à Aulnay, Roissy.

Plus tard, on a croisé des gars comme Sly, Koe, Quine des IZB, Slade, Tex… Mais la vraie énergie, elle était dans le métro. On taguait aux extrémités des rames, dans cette sorte de petit salon à l’arrière. Tu t’asseyais tranquille, tu taguais les plans ou les parois. À l’intérieur aussi, parfois, mais les surfaces étaient limitées.

À Paris, on taguait surtout dans les stations : les armoires électriques – très convoitées –, les couloirs, les murs en hauteur. On évitait les métros et l’extérieur, parce qu’à l’époque, on ne connaissait pas encore bien les dépôts. Et quand tu taguais à l’intérieur, fallait être discret, surtout quand il y avait du monde. C’était risqué, les flics en civil rôdaient. Le meilleur moment, c’était la station avant le terminus, quand les wagons se vidaient.

Pour taguer l’extérieur des rames, c’était souvent à l’arrache. Tu sautais sur le dernier wagon en station, ou tu descendais et tu allais derrière, direct sur les voies, pour marquer l’arrière du train.

Parle-nous de l’histoire des BAC.
Les BAC, je les ai créés dans une institution privée pour enfants en difficulté, entre Bagneux et Cachan. C’était un foyer, un internat, où on vivait un peu en vase clos. Là-bas, j’ai rencontré d’autres passionnés de Hip Hop, des mecs qui voulaient continuer à faire vivre cette culture, même si elle commençait à perdre de la visibilité. Peut-être parce qu’on était un peu coupés du monde, mais aussi parce que c’était un refuge dans un contexte scolaire compliqué.

Un jour, en sortie, je tombe sur un bouquin avec des photos de Sophie Bramly et un lexique du parler de rue new-yorkais. Je découvre le mot bugging (bugging out), qui veut dire péter un câble, danser dans tous les sens… J’ai trouvé ça génial. J’ai créé le nom Bugging Out Artist Crew, abrégé Bug Artist Crew – qu’on pouvait aussi lire comme « les artistes insectes »…

Le crew s’est formé autour de moi (Sean, à l’époque), puis Kurtis, Swike, Jome, Marvin. Quand on a commencé à fréquenter le terrain vague de Stalingrad, d’autres nous ont rejoints : ROM (Romuald), qui nous a ouvert pas mal de portes, Dark, Kedy… On a même fait une alliance avec les IZB : Crazy JM, Quine, Slade, des gros cartonneurs. Ils avaient fait quasiment toute la ligne 8 à pied, en marchant sur les voies, de Charenton à Invalides…

Après, on a intégré Sly et Koe, de Cachan, et des membres de la Longue Posse, comme KAS, pour créer une division appelée Criminal BAC. On a aussi collaboré avec les ODCMoze, Atom, Veak, Mazer – qui taguaient parfois sous le nom BAC.

L’idée, c’était de poser le nom un peu partout dans Paris. Et puis, à un moment, ça nous a échappé. On s’est retrouvés mêlés à des embrouilles sorties de nulle part. En 1988, après un nouveau voyage à New York, on a changé de nom : TCK.


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